Je me nomme Jacques Gélinas. Je vis au Centre-du-Québec.
Le cri du cœur d’une personne vivant avec le VIH
Accepter de comparer la pandémie du VIH/sida et la COVID-19, c’est accepter de mettre côte à côte le vécu de deux souffrances humaines, une qui porte encore ses cicatrices, l’autre qui continue à blesser chaque jour.
C’est accepter de rendre les deux encore vivantes et présentes comme entre hier et demain malgré les dizaines d’années qui les séparent.
Deux pandémies, deux mortalités qui se différencient
Depuis 1980, le sida a entraîné dans la mort environ 38 millions d’êtres humains. Après une année, pour la COVID on évalue la mortalité à un peu plus de 2 millions. Les mortalités ne se comparent pas, mais elles peuvent s’interroger. Pourquoi une si grande différence? Une évolution rapide de la science? Selon qui nous sommes, selon où nous sommes, selon nos différences, la vie des uns et des autres n’a peut-être pas la même valeur donc on ne lui accorde pas le même investissement tant humain que financier.
Deux pandémies, les mêmes espoirs : des traitements, un vaccin
Pour le VIH, les traitements sont un acquis depuis 1996. Pour le vaccin, même après quarante ans, nous espérons toujours. Peut-on savoir pourquoi? À cause de la vulnérabilité des personnes qui vivent avec? À cause des revenus générés pour les producteurs en raison du coût des traitements? À cause de la complexité du Virus lui-même? À cause d’une inconscience de la société? Probablement, un peu de tout cela.
Pour la COVID, on en est encore aux hypothèses concernant les traitements. Pour le vaccin, c’est déjà là. Il aura fallu un peu moins d’un an. Peut-on savoir pourquoi? La planète entière est menacée du plus riche au plus pauvre, de la personne en pleine santé autant que la plus faible.
Encore là, même après 25 ans, les traitements existants ne sont pas accessibles pour tous. Dans les pays riches, la très grande majorité des personnes vivant avec le VIH ont accès à des traitements efficaces et performants. En Afrique, moins de 50% des personnes vivant avec le VIH ont accès à ces mêmes traitements.
Pour la COVID, la même injustice se profile déjà. Les pays riches comme le Canada sont prêts à payer, à faire de la surenchère pour être servis les premiers. Les pays moins fortunés devront attendre, combien de temps? Ça dépendra malheureusement de la générosité de la communauté internationale, de la générosité des producteurs de vaccins.
Quand ça va mal partout, la solidarité internationale prend le bord, les pauvres ramassent les miettes qui tombent de la table des riches.
Deux pandémies, les mêmes souffrances
Même quarante ans après la découverte du VIH/sida, période où trop d’humains sont morts dans l’indifférence de la population en général. Des morts indignes même en 1990, des morts dans l’isolement, dans le rejet, souvent entouré par un personnel déguisé en martien et encore seulement par celles et ceux qui acceptaient de les soigner. Ces morts sont inscrits dans ma mémoire d’homme.
Quarante ans plus tard, qu’a-t-on appris? J’ai assisté impuissant en raison de mes 75 ans, à des morts majoritairement de personnes âgées dans des conditions qu’on peut à peine imaginer au Québec en 2020. Vous me direz, ce ne fut pas le sort de tous et toutes, heureusement, mais il y en aurait eu une seule et ce serait une de trop.
Ces humains décédés entourés des mêmes martiens, qui ont accepté de faire le plus qu’ils pouvaient, ces aînés privés de la présence chaleureuse de leurs proches. Ces personnes souvent privées d’une réponse la plus élémentaire à leurs besoins de base, ces personnes couchées, les yeux ouverts sur un au-delà, ces humains qui ne s’étaient sûrement pas imaginé que leur passage de vie à trépas serait aussi terrifiant.
Deux pandémies, un même message
Protégez-vous, protégez-nous, protégeons-nous. Malgré quarante ans de message continu, plusieurs continuent à penser que le message ne les concerne pas.
Encore 1,7 million de nouvelles infections au VIH en 2019 dans le monde. En à peine 1 an, près de 68 millions d’infections à la COVID.
Serait-il temps qu’on apprenne de notre passé pour que notre présent soit moins souffrant, que notre futur soit meilleur? Protégeons-nous, protégez-nous, protégez-vous.
Deux pandémies, la brutalité du choc
À 47 ans, en 1992, quand tu entends, votre test est positif au VIH. Le choc traumatique te frappe en pleine face, le choc te fait t’effondrer. Je ne verrai pas mes 50 ans, je ne verrai pas mes trois enfants grandir et profiter de la vie.
À 56 ans, en pleine forme quand tu commences à ne pas te sentir bien, à avoir des problèmes respiratoires, tu penses à la COVID. Quelques heures plus tard, tu te retrouves aux soins intensifs mis dans un coma artificiel. Tu y demeures 35 jours en n’ayant pas conscience de la vie. Un matin, tu reviens à un semblant de vie. Tu te regardes dans un miroir, tu ne reconnais pas l’homme que le miroir te réfléchit. C’est le choc traumatique.
Le choc post-traumatique commence à t’habiter, le même choc vécu par les personnes qui entendaient : votre test est positif. C’est avec ce choc post-traumatique avec lequel vous aurez à travailler pour les prochaines décennies.
Deux pandémies, les mêmes souvenirs
Certain·es nous aurons quitté traîtreusement fauchés par un si minuscule virus. Mais il y aura les survivant·es, qui seront nombreux·ses à se souvenir.
Attendez que je me rappelle : si je suis ici aujourd’hui, c’est que j’ai eu le privilège de vivre alors que des centaines de personnes connues ont été emportées. Dans ma quarantaine, cette pandémie du VIH/sida battait son plein, un virus mortel circulait et faisait ses ravages un peu partout dans le monde. Ma vie d’homme en fut profondément troublée. Les cicatrices sont toujours visibles dans mon être.
Parfois dans mes rêves qui me projettent dans un futur lointain, j’entends mon petit-fils devenu lui-même grand-père dire à ses petits enfants : vous savez quand j’ai eu vingt ans, un virus mortel circulait et faisait des ravages un peu partout dans le monde. J’ai eu le privilège de vivre même si j’ai été infecté. Je travaillais comme aide de service, j’ai vu des dizaines de personnes âgées mourir de la COVID. J’en garde un souvenir qui a imprégné toute ma vie.
Nous serons nombreux à raconter aux générations futures…
Il était une fois, un virus qui a envahi la terre. On ne savait pas quand la maladie allait s’arrêter. Mais un jour, la science aidant, ça s’est terminé. Et l’humain a recommencé à vivre, avec ses grandeurs et ses faiblesses…
Merci à vous tous et toutes, que votre futur en soit un de solidarité et de proximité.
Ce témoignage nous a été partagé par Jacques Gélinas.