Le cas de la «patiente de New-York»

Dernièrement, une nouvelle réjouissante a fait l’objet de plusieurs articles dans les médias québécois : une femme surnommée «la patiente de New-York» est en rémission du VIH depuis 14 mois après avoir reçu une allogreffe de cellules souches immunisées contre le Virus. Il s’agit de la troisième patiente n’ayant plus besoin de prendre la thérapie antirétrovirale. Mais qu’est-ce que cela veut dire pour les millions de personnes vivant avec le VIH à travers le monde ? Avons-nous enfin trouvé la technologie qui offrirait une cure efficace contre un virus qui a donné tant de fil à retordre aux scientifiques ?

Comment ça marche, l’allogreffe?

La greffe visait principalement à soigner la leucémie de la patiente : une forme de cancer qui détruit et remplace certains types de cellules essentielles à la bonne santé de l’organisme (note 1). Les nouvelles cellules greffées provenaient de donneurs compatibles et de sang de cordon ombilical. La rémission de la patiente a été observée en raison des cellules souches CD4 issues du cordon ombilical, qui étaient porteuses d’une mutation nommée delta-32; celle-ci protège contre le VIH de type 1 en l’empêchant de pénétrer dans les cellules. Pour rappel, le VIH est un rétrovirus qui s’attaque aux cellules lymphocytes T CD4. Pour pouvoir se répliquer, le virus a besoin de se fixer à des protéines de la cellule hôte: le récepteur CD4 et à un corécepteur se trouvant à la surface de la cellule, par exemple la protéine CCR5. Cela permet au VIH de pénétrer dans la cellule hôte et se répliquer. Or, avec la mutation delta-32, le récepteur CCR5 est retiré; il devient impossible pour le VIH de type 1 d’infecter les cellules CD4.

Gauche: Le VIH pénètre la cellule en se fixant au récepteur CD4 et au co-récepteur CCR5
Droite: Le co-récepteur CCR5 étant absent de la surface de la cellule, le VIH ne peut pas s’y attacher

Deux cas de guérisons suite à une allogreffe ont déjà été documentés par le passé. Les cellules provenaient de donneurs compatibles ayant déjà la mutation delta-32. Dans le cas de la patiente de New-York, c’est la première fois que les cellules souches provenant de sang de cordon ombilical étaient greffées avec succès. On ne sait pas encore si la patiente de New-York est assurément guérie. Par contre, il n’y a pas de rebond viral depuis plus de 14 mois suite à l’arrêt du traitement. Il faudra attendre quelques années encore pour être certain‧e‧s de la guérison (note 2).

Avons-nous finalement trouvé une piste vers la cure ?

Malheureusement, l’allogreffe de cellules souches ne peut pas être une solution pour les personnes vivant avec le VIH. Il y a plusieurs enjeux en lien avec ce type d’opération. Pour faire une greffe de cellules, il faut d’abord détruire le Système immunitaire à l’aide de la chimiothérapie. Ce sont des traitements très lourds et toxiques qui peuvent causer des enjeux de santé graves. De plus, la réussite n’est pas garantie : il y a toujours un risque que le corps rejette la greffe de nouvelles cellules. Enfin, il est très difficile de trouver un‧e donneur‧euse compatible avec la mutation delta. Les enjeux éthiques de cette opération sont nombreux et les coûts d’une telle procédure à plus grande échelle seraient trop élevés.

En outre, certains éléments ont servi à inspirer les chercheur‧euse‧s dans leurs recherches pour une cure. Ainsi, la modification génétique des cellules CD4 par autogreffe pourrait être une option moins dangereuse. L’autogreffe consiste à extraire les cellules CD4 du corps, retirer les CCR5 en laboratoire et les remettre dans l’organisme. Pour arriver à ce résultat, quelques défis de taille causent du fil à retordre aux chercheur‧euse‧s.

Les réservoirs

Une personne vivant avec le VIH sous médication peut vivre longtemps et en bonne santé, sans transmettre le VIH. La thérapie antirétrovirale bloque la réplication du virus dans la cellule, ce qui réduit considérablement sa présence dans le sang. Cependant, il existe un groupe de cellules CD4 «mémoires» ayant une plus longue durée de vie dans lequel le virus reste présent, mais inactif. Cette collection de cellules mémoires se cache dans les réservoirs latents du corps, c’est-à-dire les organes, le système immunitaire, les tissus adipeux, le cerveau et la moelle épinière (note 3). Si une personne arrête sa médication, les cellules mémoires vont se réactiver, infecter les lymphocytes T CD4 et causer un «rebond viral».

Avoir accès aux réservoirs latents donnerait plus facilement la possibilité de guérir le VIH. Cependant, il s’agit d’une tâche complexe : ils sont d’abord difficiles d’accès, ils varient en grosseur d’une personne à l’autre et il n’existe pas encore d’outils assez performants pour les mesurer de manière précise (note 4). Pour ces raisons, les chercheur‧euse‧s tentent de développer des technologies qui pourraient modifier l’ADN des cellules immunitaires ou du VIH, afin d’empêcher la réplication virale.

Un Essai clinique mené par la compagnie Excision BioTherapeutics Inc., autorisé pour 2022, tentera d’utiliser la thérapie basée sur CRISPR-Cas9 afin de cibler le VIH des cellules infectées se trouvant dans les réservoirs. Plus précisément, CRISPR-Cas9 agit comme des ciseaux moléculaires qui ciblent trois sites dans le génome essentiel à la réplication du VIH (note 5). Pour l’instant la phase ½ de l’essai sera entamée en 2022 et évaluera l’efficacité du traitement EBT-101 chez 9 participant‧e‧s vivant avec le VIH. Le premier objectif est de s’assurer de la sécurité et de la durabilité du produit (note 6).

Pourquoi poursuivre la recherche pour une cure ?

Malgré la grande efficacité de la thérapie antirétrovirale, la recherche pour une cure reste essentielle pour plusieurs raisons :

  • Si on se décentralise de l’Occident, on réalise que l’accès au traitement et à la prise en charge est inégal à travers le monde. En 2020, l’ONUSIDA calculait que plusieurs millions de personnes vivant dans les pays à revenu faible et moyen n’avaient toujours pas accès au traitement (note 7). Tant que ces inégalités ne seront pas adressées par un effort concerté des pays les plus riches, il ne sera pas possible de venir à bout de cette épidémie. Ainsi, il est fondamental de trouver une cure qui sera abordable et accessible.
  • Cela permettrait aux personnes vivant avec le VIH de se débarrasser d’un énorme poids financier.
  • Pour améliorer la qualité de vie des personnes vivant avec le VIH à travers le monde. Par exemple, la médication peut causer des effets indésirables qui pèsent lourd.
  • Parce que les personnes vivant avec le VIH subissent encore énormément de stigmatisation et de discrimination en raison de leur Statut sérologique.
  • Les personnes vivant avec le VIH sont criminalisées dans plusieurs pays.

Article par Justine Massicotte (contenus@pvsq.org)

Notes et Références

(1) Emadi, A., York Law, J. (2020). «Leucémie myéloïde aiguë», Le Manuel Merck. Repéré à : https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/troubles-du-sang/leuc%C3%A9mies/leuc%C3%A9mie-my%C3%A9lo%C3%AFde-aigu%C3%AB-lma#:~:text=La%20leuc%C3%A9mie%20my%C3%A9lo%C3%AFde%20aigu%C3%AB%20est,normales%20de%20la%20moelle%20osseuse

(2) UCLA Health (2022). «UCLA Health at CROI: Presenting the case of a woman with HIV-1 in remission following specialized stem cell transplantation for leukemia». Repéré à: https://www.uclahealth.org/news/ucla-health-croi-presenting-case-woman-with-hiv-1-remission

(3) Hosein, S. (2018)«La Bithérapie: son impact sur le Réservoir de VIH». CATIE. Repéré à : https://www.catie.ca/fr/treatmentupdate-229/la-bitherapie-son-impact-sur-le-reservoir-de-vih

(4) Chomont, N. (2016). «The basics of HIV cure research». CANCURE. repéré à :https://www.avac.org/cure-curriculum/module1

(5) Le génome correspond à l’ensemble du matériel génétique codé dans l’ADN.

(6) Biospace (2022). «Excision Biotherapeutics initiates phase ½ trial evaluating EBT-101 as a potential cure for HIV». Repéré à: https://www.biospace.com/article/releases/excision-biotherapeutics-initiates-phase-1-2-trial-evaluating-ebt-101-as-a-potential-cure-for-hiv/

(7) ONUSIDA (2021). « Fiche d’information: Journée mondiale du sida 2021». Repéré à : https://www.unaids.org/sites/default/files/media_asset/UNAIDS_FactSheet_fr.pdf

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