L' Adhérence «optimale» au traitement

Dans le contexte du VIH d’aujourd’hui, nous savons que la médication est tout à fait essentielle non seulement pour prolonger la vie des personnes qui vivent avec le VIH, mais aussi pour leur permettre de vivre en bonne santé, de s’épanouir, et de contribuer à protéger la santé des personnes qui les aiment.  

En règle générale, les médicaments antirétroviraux (ARV) doivent actuellement être pris tous les jours, et ce, pour toute la vie. L’adhérence optimale au traitement du VIH sous-entend ainsi un engagement important et soutenu de la part des patient·es, et nécessite beaucoup de ressources; pensons par exemple aux ressources engagées par les rendez-vous de soins cliniques requis pour se procurer/renouveler une prescription, aux moyens matériels nécessaires pour se procurer les médicaments à la pharmacie chaque mois, ou encore, aux habiletés de gestion sous-entendues par la prise quotidienne de médicaments.

On l’imagine bien, des enjeux tels que le manque d’argent, un domicile instable, un horaire de travail inflexible ou atypique, l’éloignement des ressources de soins dans une région, ou encore les enjeux de santé physique ou mentale peuvent donc influencer fortement le niveau d’adhésion au traitement d’une personne (1). Ainsi, bien que la grande majorité des personnes vivant avec le VIH connaissent les bienfaits des traitements ARV et soient très majoritairement d’accord avec son importance, les interruptions de traitements non-supervisées demeurent nombreuses dans la plupart des pays, Canada y compris (2).

Comprendre la «non-adhésion thérapeutique»

Afin de mieux comprendre le phénomène de la «non-adhésion thérapeutique» («non-compliance»), Pakhomova et son équipe (BC Centre For Excellence In HIV/AIDS) ont rencontré 15 personnes vivant le VIH de leur province ayant fait un arrêt de traitement non-supervisé au cours des 3 dernières années (3). Notons que contrairement au Québec, les médicaments ARV sont offerts gratuitement via le «Drug Treatment Program» à toutes les personnes vivant avec le VIH qui résident en Colombie-Britannique et qui sont éligibles à une assurance santé publique canadienne (4).

Lors de leur recherche, Pakhomova et son équipe ont découvert que, si la non-adhésion est souvent comprise par les professionnel·les de la santé comme une opposition au traitement délibérée des patient·es, elle ne relève en fait presque jamais d’une décision intentionnelle du point de vue des patient·es. En effet, les participant·es de la recherche ont plutôt décrit leur arrêt de traitement comme la conséquence involontaire d’un évènement perturbateur ayant déstabilisé leur vécu ou leur routine. Les changements de l’état de santé mentale, au sein du cercle relationnel, ou de la situation de consommation ont entre autres été identifiés en tant qu’évènements perturbateurs pouvant mener à des arrêts de traitement non planifiés.

De plus, les participant·es ont remarqué que les sentiments de honte, de peur ou de désespoirs, qui sont souvent déjà liés à ces évènements perturbateurs, sont aussi souvent associés aux arrêts de traitements, et sont parfois renforcés de manière involontaire par les intervenant·es des milieux de soins; parce qu’elles craignent le jugement de leurs soignant·es, les personnes deviennent hésitantes à se re-engager dans les soins, ce qui prolonge la durée de l’arrêt de traitement chez des personnes qui seraient autrement prêtes à reprendre leur suivi. Certaines personnes ont aussi mentionné avoir parfois l’impression que leur clinicien·nes ne considèrent que l’aspect «VIH» de leur vie, alors qu’elles sont en fait des humains aux multiples facettes, qui vivent plusieurs choses, et qui peuvent avoir, par moments, des besoins plus urgents que ceux en lien avec le VIH.

Des intersections multiples

Pakhomova et son équipe ont souligné que l’entretien de la relation de confiance entre patient·es et soignant·es à un effet protecteur pour les arrêts de traitements. L’équipe remarque que les sentiments d’autonomie, d’autodétermination et de pouvoir partagé favorisent le réengagement dans les soins des patient·es qui vivent un évènement perturbateur. Au contraire, l’adoption de mesures perçues comme «punitives» en réponse à une situation de ‘non-compliance’ (par exemple pour un rendez-vous manqué, ou repoussé) érode ce lien de confiance, et peut motiver des arrêts de traitements plus nombreux, ou prolongés. 

La recherche de Pakhomova et de son équipe apporte une dimension intéressante à la discussion au sujet de l’adhésion thérapeutique. Elle nous rappelle que ce phénomène relève de concepts complexes et aux multiples intersections, qu’il convient de réfléchir en termes d’individus, de systèmes, mais aussi, de relations. 

- Les différentes dimensions de la non-adhésion thérapeutique -

Références

(1) Podcast du Portail sur l’accès aux soins VIH au Québec qui présente des témoignages de personnes vivant avec le VIH de la province, et propose plusieurs initiatives régionales innovatrices à

Détours en cours- Un podcast sur l’accès aux soins VIH au Québec (2021). Disponible : https://pvsq.org/podcast-detours-en-cours/

 

(2) Article par l’équipe du «BC Center for Excellence in HIV» sur la surveillance des interruptions de traitements et les interventions possibles de santé publique (en anglais)à

Moore et al. (2022) Evaluation of a Public Health Referral System to Re-Engage Individuals Living With HIV Who Have Interrupted Antiretroviral Therapy in British Columbia, Canada. JAIDS Journal of Acquired Immune Deficiency Syndromes 90(1):p 33-40

https://journals.lww.com/jaids/fulltext/2022/05010/evaluation_of_a_public_health_referral_system_to.6.aspx

 

(3) Recherche de Pakhomova et de son équipe, présentée pendant CAHR 2023. Pour lire l’abrégé de la recherche (en anglais)à

Salters et Pakhomova (abstract- CAHR 2023) “Kind of a decision, and kind of not a decision”: Examining experiences re-engaging with healthcare among people living with HIV who have had a recent treatment interruption. Disponible dans le livret d’abrégés, p.150 : https://www.cahr-acrv.ca/wp-content/uploads/2023/04/CAHR2023-Abstract-Book_as-of-April-24.pdf

 

(4) Le Drug Treatment Program, du BC Centre for Excellence in HIV/AIDS. Pour plus d’informations (en anglais) à

https://www.bccfe.ca/drug-treatment-program/how-obtain-hiv-medication